La bataille de Samar

De WikiMs.

C'est à 00:35, le 25 octobre 1944 que Takeo Kurita avait franchi le redouté détroit de San Bernardino. Ayant six heures de retard sur le plan Sho-Go et se sachant repérés, l'heureuse surprise des Japonais avait été intense en ne trouvant à la sortie du détroit ni sous-marins à l'affût, ni cuirassés américains pour lui barrer le T. Restaient les porte-avions de Halsey, dont ils n'avaient, sur eux, aucune information, aucune hypothèse si petite soit-elle.
Lorsque vint l'aube, tombait un message du vice-amiral Shima :

- Escadre Nishimura anéantie.

Kurita ne recevrait plus aucune nouvelle de la fameuse pince sud de la tenaille qui devait pulvériser les Américains.

Sommaire

Cuirassés versus porte-avions

A 06:30, dans le camp américain on avait déjà fait décoller de Taffy 3 (nom de code radio du groupe de combat) les appareils de patrouille ASM lorsque le radariste d'un Avenger avise son pilote, l'enseigne de vaisseau Jensen, qu'il obtient de forts échos sur son scope. Bien que ceux-ci soient en dehors de leur secteur, Jensen décide d'aller "renifler" la piste.
A 06:44, Jensen identifie l'escadre japonaise, rend compte de son observation et largue les seules armes dont il dispose, des charges de profondeur sur le cuirassé Haruna, puis s'enfuit sous les éclatements d'obus de DCA.
Au même moment, sur la passerelle du navire-amiral Yamato, les veilleurs voient émerger sur l'horizon des mâtures, puis des dizaines de mâtures, enfin des coques carrées.

- Amiral, une grande escadre ennemie ! Il y a là 6 ou 7 porte-avions, avec de nombreux croiseurs lourds et des destroyers !
- Et un ou deux cuirassés ! Ce ne peut être que la flotte de Halsey !

C'est la stupeur au sein de l'état-major de Kurita : l'appât d'Ozawa avait donc échoué et ils se trouvent face à Halsey qui leur tend un piège. Mais le rêve le plus improbable de Kurita va peut-être se réaliser. Au lieu d'être harcelé comme la veille par des appareils venus d'au-delà de l'horizon, voici que l'ennemi est à portée de ses formidables canons pouvant expédier des obus de plus d'une tonne et demie à 35 km de distance. Kurita n'a plus le choix.

- Augmentez la vitesse à 24 nœuds ! Chasse générale ! Attaquez !

Contrairement à ce que pense Kurita, ce n'est pas la III° flotte de Halsey, avec ses porte-avions lourds et ses cuirassés; elle s'éloigne depuis 21:00 vers le nord à la poursuite d'Ozawa. C'est la petite escadre Taffy 3 de 6 porte-avions d'escorte et 7 destroyers du contre-amiral Clifton Sprague qui couvre les approches nord-est du golfe de Leyte et se trouve en danger d'anéantissement.

L'ordre de bataille japonais

En donnant l'ordre de chasse général, Kurita ne prend pas vraiment le temps de positionner son escadre en vue d'une action concertée des différentes divisions placées sous ses ordres. Au contraire, chaque catégorie de navires engage l'escadre de Sprague aussi rapidement que la portée de son artillerie ou sa vitesse le lui permet. Pour l'amiral japonais, il faut agir le plus vite possible afin que ces porte-avions, qu'il croit rapides, n'aient pas le temps de lui échapper. Le temps n'est plus aux manœuvres subtiles pour lesquelles un temps précieux serait dispensé pour leur élaboration.

  • Il ordonne donc au vice-amiral Shiraishi, commandant de la 7ème division de croiseurs (CruDiv7) en tête : Kumano (navire-amiral), suivi de Suzuya, Tone et Chikuma de chasser une position de tir sur l'avant des cuirassés. Shiraishi est rejoint par les rescapés de CruDiv 4 et Crudiv5, les croiseurs lourds Haguro et Chokai. A 26 nœuds, les 6 croiseurs en file indienne entament une manœuvre de contournement de Taffy 3, cap provisoire au 085. Forts de leur vitesse, les cuirassés Kongo et Haruna les suivent, le premier sur le flanc bâbord des croiseurs, le second sur leur arrière.
  • Les destroyers demeurent en divisions autour du Yamato et du Nagato, cap au 110, leur vitesse à 24 nœuds, calée sur celle du cuirassé le plus lent, le Nagato.
    • Sur le flanc gauche, sous les ordres du croiseur léger Yahagi, le 10ème escadron de destroyers (DesRon10) sur deux colonnes : Urakaze, Yukikaze, Nowaki et Isokaze.
    • Sur le flanc droit, sous les ordres du croiseur léger Noshiro, le 2ème escadron de destroyers (DesRon2) sur deux colonnes : Akishimo, Fujinami, Hamanami, Hayashimo, Okinami et Shimakaze qui a rejoint la flotte en queue de peloton.

Branle-bas de combat

A 06:54, à réception du message de l'Avenger et après avoir un instant songé à se dérober au sud, Sprague fait mettre ses porte-avions au vent de manière à faire décoller "tout ce qui vole" pour attaquer les navires japonais. Ordre est donné de se ravitailler ensuite sur Taffy 2 ou sur les plateformes de Tacloban et Dulag à Leyte. Parmi les appareils disponibles, certains sont déjà équipés pour la seconde vague d'appui sur Leyte ou pour la relève des autres missions de reconnaissance. Des avions décollent sans le plein, d'autres avec des grenades ASM ... Une fois en vol, on fait l'inventaire des armements. Rien de conforme aux procédures. L'absence de réplique de la chasse japonaise va sauver bon nombre de ces équipages qui partent à l'assaut en ordre dispersé. Leur seul but est de mettre la pression sur les navires japonais afin de gêner leurs tirs d'artillerie et de retarder l'inéluctable car, à cette heure le TG 77.4.3 est vraiment seul face aux canons de Kurita.
A 06:59, les pièces de 456 du Yamato braquées à 45° ouvrent le feu à 30 000 mètres. La salve tombe entre les porte-avions provoquant d'énormes gerbes de couleur. Comme les Français, les Japonais utilisent des marqueurs de couleur différente pour identifier le tir de chaque navire.
A 07:01, Sprague lance un appel en clair à l'état-major de la VII° flotte. La bataille de Samar commence.

A bord du Yamato, le message est capté :

- Amiral ! Nous venons de capter un appel en clair de l'escadre américaine : "Taffy3. 126°10'E-11°47'N. Sommes attaqués par flotte ennemie : 4 cuirassés, nombreux croiseurs et contre-torpilleurs à 28 000 mètres dans notre ONO. Demandons secours immédiats.
- En clair ?
- Oui, amiral. En anglais, non codé !
- Cette procédure ne peut que signifier que les Américains ont des renforts rapides qui doivent naviguer dans le secteur.

A 07:06, Taffy 3 entre dans un gros grain de pluie.
A 07:16, Sprague ordonne aux trois destroyers rapides, Johnston, Heerman et Hoel, une attaque à la torpille. Johnston est déjà au contact réussit à placer 10 coups de 127 mm sur le Kumano. Il est pris à partie par le cuirassé Haruna, sans succès.
A 07:24, l'état-major de Kinkaid reçoit enfin l'appel à l'aide de Sprague et confère immédiatement sur les possibilités. Interrogé par l'amiral, le capitaine de vaisseau Schaeffer, son chef-d'état-major fait le point de la situation :

- Dans moins de 4 heures, la flotte débouchera dans le golfe de Leyte si nous ne trouvons pas une solution pour l'arrêter. Les cuirassés d'Oldendorf se trouvent 65 milles, devant le détroit de Surigao. En navigant à pleine vitesse, ils pourraient arriver avant la flotte japonaise et livrer bataille devant l'île de Suluan. Le problème est que les stocks de combustible et de munitions sont au plus bas. Taffy 1 navigue à 130 milles au sud de l'entrée du golfe et Taffy 2 se trouve en face de nous à 30 milles à l'est.
- Et Halsey ? Et Lee ?
- La III° flotte est à la poursuite d'Ozawa à 500 milles dans le nord-est. Nous venons d'apprendre que les cuirassés rapides de Lee n'ont finalement pas été détachés à la garde du détroit de San Bernardino. Halsey les a conservés avec lui !

Aucun des marins présents n'ose avancer le choix qui s'impose : que Taffy 3 s'éloigne de Leyte, qu'elle se sacrifie pour la VII° flotte, le corps amphibie, les transports, l'armée en entraînant l'ennemi au large. Mais comment espérer que Kurita lâchera la proie pour l'ombre ? Kinkaid se refuse à ce suicide et après quelques instants de réflexion, donne ses ordres.

- Il faut donner le change avec les cuirassés. Que Oldendorf rassemble tous ses bâtiments au nord de l'île d'Hibuson. Ordonnez à tous les destroyers de faire route à grande vitesse sur Leyte pour être en mesure de renforcer les cuirassés et croiseurs d'Oldendorf ou d'attaquer Kurita au nord. Donnez les ordres nécessaires pour que Taffy 1 et Taffy 2 apportent l'aide maximum à Taffy 3.

L'officier de liaison de McArthur proteste :

- L'abandon aérien du ciel de Leyte comporte de gros risques. Les Japonais, qui ne cessent de nous harceler, vont retrouver la maîtrise du ciel et tout matraquer.
- Nous n'avons pas le choix, capitaine. La flotte japonaise est le plus gros péril. Si nous ne repoussons pas Kurita, il nous écrasera les uns après les autres.

La charge des destroyers

A 07:25, Kumano encaisse l'une des 10 torpilles du Johnston tirées à 9 000 mètres et se retire de la ligne. Dans le même temps, Johnston reçoit une salve d'obus de 14" du Kongo qui pénètrent dans la salle des machines. L'arrière du destroyer est ravagé, les morts et les blessés sont nombreux; dont le commandant. Le destroyer n'est plus qu'à 17 nœuds et parvient à se réfugier sous le grain de pluie, cap au 110.
Dans le même temps, Suzuya est attaqué par une dizaine d'Avenger. Les hélices bâbord sont endommagées et la vitesse est tombée à 20 nœuds. Il se déporte au nord et porte assistance au Kumano. L'amiral Shiraishi porte sa marque sur le Suzuya.
A 07:33, Kongo doit se dérober pour éviter les 5 torpilles lancées contre lui par Hoel. En riposte, ce dernier encaisse une salve d'obus de 14" qui fait de nombreux morts sur la passerelle. Il réussit aussi à entrer dans le grain mais avec de sérieuses avaries. Mais l'essentiel est fait. Le Kongo a du faire une brutale abattée vers le nord pour éviter les torpilles et s'est éloigné des porte-avions.
A 07:42, gardés en réserve en raison de leur vitesse inférieure, les destroyers d'escorte Samuel B. Roberts, Raymond et Dennis entrent à leur tour dans la danse. Les destroyers d'escorte ne sont pas conçus pour ce genre d'attaque et leurs équipages, le plus souvent des réservistes, sont plus entraînés à la lutte ASM. Néanmoins, vomissant des torrents de fumée, ils traversent le dispositif des porte-avions et se portent à 24 nœuds au-devant des croiseurs japonais, accompagnés par Hoel et Heerman qui ont pu faire quelques réparations d'urgence à l'abri du grain.
A 07:50, Heerman lance ses 5 dernières torpilles sur le croiseur Haguro qui les évite. Alors, l'impensable survient. Ces torpilles et peut-être celles du Hoel, produisent un effet extraordinaire sur l'amiral Kurita qui, du Yamato, les voit arriver droit sur son escadre.

- Aux deux divisions de bâtiments de ligne, cap au nord !

Il vire de 90° vers le nord, puis poursuivi et encadré des deux bords par les torpilles à 30 nœuds, la ligne de bataille cuirassée fuit ainsi pendant 10 longues minutes. Dix précieuses minutes perdues alors qu'ils étaient au contact des porte-avions et sur le point de les détruire. Kurita se retrouve maintenant à plus de 10 milles derrière la division de croiseurs. Lorsqu'il peut enfin faire demi-tour, la distance et la mauvaise visibilité ne permettent plus de tirer. Cependant, Taffy 3 n'est pas sauvée pour autant ...

Les porte-avions encaissent

Les navires de Taffy 3 sont maintenant sortis du grain qui les a masqués une demi-heure. Ils reçoivent, à présent, bordées sur bordées. A la surprise de Sprague, les Japonais n'ont pas cherché à couper la route vers le sud-ouest et se trouvent encore assez loin, notamment les cuirassés. Sur la gauche des Américains, les croiseurs Chikuma, Tone, Haguro et Chokai sont à 8 000 mètres devant et à environ 18 000 mètres des porte-avions. Ils tirent essentiellement sur Gambier Bay, Kalinin Bay et Fanshaw Bay (navire-amiral). Sprague fait effectuer des abattées alternatives de 15° pour dérégler le tir japonais, tandis que chaque commandant, tout en respectant ces zigzags, "chasse les salves" lorsque leur navire est encadré.
Kalinin Bay encaisse 14 obus de 6" et 8". Cinq compartiments sont envahis et le navire prend 7° de gite. Fanshaw Bay encaisse quant à lui 4 obus de 8", mais qui perforent sans détonner, entraînant des dégâts légers.
Le combat entre dans une phase intense. Au milieu des rideaux de fumée et des grains, se livre une succession de combats violents entre les navires japonais et les destroyers américains. Sous les attaques aériennes, les Japonais doivent manœuvrer pour éviter bombes et torpilles. Ce qui a pour conséquence de limiter l'efficacité de leurs tirs sur les porte-avions. Durant cette partie du combat, les contre-torpilleurs japonais sont absents.
A 07:54, Samuel B. Roberts a réussit à se faufiler entre les grains et bancs de fumée sans être repéré. A 3 500 mètres du Chokai, il lance 5 torpilles. Un des engins touche le croiseur en plein. Deux minutes plus tard, Raymond lance 3 torpilles sur Haguro qui, une fois de plus, évite habilement les armes. Raymond est pourchassé par une quinzaine de salves de 8" du croiseur, mais pas une n'atteint la cible.
A 07:58, le porte-avions d'escorte White Plains encaisse 3 obus de 6" du croiseur léger Noshiro qui conduit l'attaque de DesRon2. Dennis lance 3 torpilles sur le Tone qui le manquent. Les deux navires s'affrontent au canon. Une explosion secoue le Chokai due à une ignition de torpilles stockées à bord.
A 08:00, Haguro et Tone sont touchés par des bombes de 500 livres des avions de Taffy 2. Les escorteurs américains se replient vers les porte-avions et se sont replacés à 08:14 de manière à les protéger avec des écrans de fumée. Deux obus de 8" de Chikuma frappent à nouveau le Gambier Bay. Deux chaudières sont noyées par l'eau qui s'engouffre par les trous d'obus. Une demi-heure plus tard, pilonné à 12 000 mètres par les obus des croiseurs, la vitesse tombe à 11 nœuds.
A 08:33, 24 avions décollent de Taffy 2 et se précipitent sur les croiseurs dont les tirs se concentrent maintenant du Fanshaw Bay et Kalinin Bay. Les porte-avions tentent de riposter avec leurs canons de 5".
A 08:40, Gambier Bay est condamné et abandonné, pendant que Samuel B. Roberts vide ses soutes de 127 mm sur le Chikuma dont la tourelle n°3 est détruite.
A 08:43, une nouvelle pontée décolle de Taffy 2. Les croiseurs sont maintenant les mieux placés pour anéantir l'escadre de Sprague, que défendent leurs avions, avec l'énergie du désespoir, puisque aucun renfort immédiat n'est attendu.

C'est alors que tout bascule

Tone est touché à l'avant par une torpille d'avion et sort de la ligne. Puis c'est au tour de Chikuma d'être pris en tenaille par 4 avions-torpilleurs. Une torpille le frappe à l'arrière faisant exploser le monte-charge rempli d'obus. Le croiseur désemparé tourne en rond. A bord du Yamato, Kurita s'interroge. Va t-il assister à la destruction de ses chers croiseurs lourds, à bord desquels il a commandé plusieurs années ? En tête de la ligne cuirassée, Haruna annonce avoir détecté un second groupe de porte-avions à 18 milles. C'est Taffy 2. Déjà persuadé que Taffy 3 constitue l'un des task-group de Halsey, Kurita prend naturellement Taffy 2 pour le task-group ayant répondu à l'appel en clair de Sprague. Il s'attend donc à voir apparaître les cuirassés rapides de Lee. Aussi ordonne t-il au Haruna :

- Attaquez ces porte-avions !

Ce qui a pour effet d'arrêter les tirs du cuirassé sur Taffy 3.
A 09:07, pendant que le Gambier Bay chavire, que le Johnston est à l'agonie, alors que Hoel est coulé depuis quelques minutes et que Chikuma n'est plus manœuvrant, Kurita réunit son état-major. Pendant de longues minutes, ses officiers se disputent les options. Certains sont convaincus que Halsey est un train de leur tendre un piège et qu'il faut aller le chercher à l'est, d'autres qu'il faut rentrer coûte que coûte dans le golfe pour y anéantir McArthur, quitte à perdre les trois-quarts de la flotte. Soudain il lâche :

- Messieurs, la première chose à faire est de regrouper la flotte, seul moyen de s'opposer aux attaques aériennes; puis rassembler les informations. Après quoi, nous foncerons à travers le flotte ennemie si elle nous barre encore le passage et nous entrerons dans le golfe. Voici mes ordres : A tous les bâtiments, demi-tour, cap au nord. Ralliez mon pavillon. Aux escorteurs : assistez les quatre croiseurs avariés.

Pendant ce temps, Halsey ...

A 7 heures du matin, après avoir navigué au nord et malgré toutes les reconnaissances lancées depuis plus d'une heure, Halsey n'a toujours pas déniché Ozawa et ses porte-avions, lorsqu'il déchiffre le message de Kinkaid, émis à 04:00 :

- Nos bâtiments viennent d'engager une force ennemie dans le détroit de Surigao. Question : La TF-34 garde t-elle le détroit de San Bernardino ?
- Répondez, dit Halsey : Nos cuirassés ne gardent rien. Ils sont avec mes porte-avions, prêts à engager Ozawa.

Un avion de reconnaissance trouve enfin Ozawa et lance dans l'éther :

- L'escadre des porte-avions ennemis navigue à 140 milles au nord-est de notre TF-38.

Totalement accaparé par "sa" bataille, Halsey donne ses ordres et ne pense plus à Kurita lorsqu'à 08:22 arrive le premier appel en clair de Taffy 3, suivi d'un message de Kinkaid :

- Besoin immédiat de vos cuirassés rapides pour le golfe de Leyte.

Halsey se rend compte de l'erreur commise en laissant le détroit de San Bernardino sans surveillance, mais il pense Oldendorf capable de contenir une flotte que les rapports de ses pilotes prétendent avoir décimée la veille. Il maintient son cap au nord car c'est là, selon lui, qu'est le véritable danger.
A 08:38, arrive un second message en clair de Sprague :

- De Taffy 3. Sommes attaqués par force ennemie de 4 cuirassés, 8 croiseurs lourds et des contre-torpilleurs.

Quatre cuirassés ! La flotte soit-disant décimée se porte plutôt bien ! Puis les messages de détresse saturent les ondes en clair :

- De Taffy 3. Sommes sous le feu de bâtiments de ligne.
- Du commandant VII° flotte. Demande intervention de Lee sur Leyte. Besoin immédiat pour soutenir les Taffy.
- Ai besoin de vos cuirassés en urgence.
- Situation critique. Vos cuirassés et porte-avions rapides sont nécessaires pour empêcher pénétration japonaise dans le golfe.

Bien qu'ébranlé, Halsey s'obstine dans son choix. 10 minutes plus tard, il ordonne au TG-38.1 de McCain, alors à 400 milles de Leyte de se détourner sur le golfe à la vitesse maximum.
A 09:27, il se décide enfin à répondre aux appels :

- Suis engagé contre les porte-avions ennemis. Le TG-38.1 a reçu instructions de vous prêter assistance immédiate. Vu notre position éloignée, impossible d'intervenir à Leyte avec mes cuirassés rapides.

Puis, il retourne à sa bataille, celle contre Ozawa.

Depuis son PC de Pearl Harbor, Chester Nimitz suivait avec attention les évènements. Comme les autres chefs militaires, il pensait que Lee avait reçu la garde du détroit de San Bernardino. Devant le silence de Halsey, aux messages de détresse et l'appel personnel de McArthur, Nimitz envoya un message à Halsey, que ce dernier ne reçut qu'à 10 heures :

- Où est, je répète où est la TF-34 ? Le monde entier se le demande.

Halsey est meurtri par le ton ironique du message. " C'est une insulte calculée ! " s'écrie t-il.
En réalité, le message originel de Nimitz ne comprend qu'une question : " Où est la task-force 34 ? ". Mais selon les procédures, le message a été surchargé par l'officier transmetteur par des phrases sans signification pour en retarder le décodage par les Japonais :

- Le dindon trotte vers l'eau. Où est, je répète, où est la task-force 34 ? Le monde entier se le demande.

Le décodeur de Halsey a bien supprimé la première phrase mais laissé la troisième qui lui a semblé avoir un sens.
Pendant près d'une heure, il rumine sa rage et finalement confère avec son état-major. On lui rappelle les mises en garde de la veille, faites par ses seconds, les amiraux Lee et Bogan. Finalement Halsey se range à la vox populi et donne ses ordres à l'intention des III° et VII° flottes :

- TF-34 (excepté croiseurs Biloxi, Miami et Vincennes) et TG-38.2 font demi-tour, cap au sud, 20 nœuds. TG-38.3 et TG-38.4 (seulement Intrepid, Cabot et Independence) poursuivent avec croiseurs et destroyers leurs attaquent contre Ozawa.

A 11:15, après que les porte-avions aient récupéré leurs escadrilles, Halsey et les six cuirassés sont sur une route plein sud.

Ils foutent le camp !

A bord du Fanshaw Bay, Sprague constate qu'il se passe quelque chose. Un timonier, jumelles fixées sur la flotte japonaise, s'écrie :

- Ils foutent le camp !

Aussitôt, le commandant de Taffy 3 prend la seule décision qui s'impose : contre-attaquer.

- Dégagez les ponts d'envol. Aux avions : attaquez ! Maintenez la pression sur l'ennemi. Achevez les croiseurs avariés. Que l'on monte sur les ponts tous les avions disponibles.

Alors que les Américains se réorganisent, surgit brutalement, venue de Mabalacat, une escadrille de 5 avions-suicides conduite par le lieutenant de vaisseau Yukio Seki. Quatre sont descendus par la DCA, le cinquième parvient à percuter le pont du Saint-Lô. Le feu allumé par les bombes japonaises fait exploser un magasin à torpilles. En quelques secondes, le hangar est transformé en brasier, les explosions en chaîne se succèdent que rien ne peut plus endiguer. Des débris, dont des éléments de l’ascenseur arrière, sont projetés à plus de 200 mètres de hauteur. Le capitaine de vaisseau F. McKenna ordonne l'évacuation. Le Saint-Lô chavirera à 11:25.

A 11:00, une attaque massive de 35 Avenger de Taffy 2 tombe sur l'escadre de Kurita en train de finir de se rassembler. Le croiseur Suzuya est atteint par deux bombes. Comme pour le Chokai, c'est le système d'alimentation des torpilles qui aggrave les dégâts. Les explosions ravagent le centre du navire et endommagent chaudières et turbines. Le destroyer Okinami lui porte assistance.
A 11:05, Chokai est de nouveau pris à partie. Cette fois, les dommages sont graves et le croiseur perd toute propulsion. Les destroyers Fujinami et Nowaki sont détachés pour recueillir les survivants avant que le croiseur ne sombre.
A 11:30, alors que le Suzuya se rapproche des cuirassés, l'amiral Shiraishi est de nouveau obligé de transférer sa marque, cette fois sur le Tone. A midi, Kurita fait le point avec son état-major. Le commandant Otani, chef des opérations fait la synthèse des pertes et avaries :

- Amiral, la 7° division de croiseurs est anéantie. Chokai et Chikuma ravagés par les explosions ont coulé. Suzuya est condamné et Kumano peut espérer s'échapper. Tone vient de recevoir une bombe qui a endommagé son gouvernail. Nagato a également encaissé une bombe à l'avant.

A nouveau, le spectre de l'anéantissement, à l'image de l'escadre de Nishimura, rayée de la carte à Surigao, envahit les esprits japonais et se repose de nouveau la question de l'attaque sur le golfe lorsqu'un message de l'hydravion de reconnaissance du Nagato indique qu'il n'y a aucune force de protection américaine dans le golfe. Kurita redoute un piège et de se faire surprendre dans le golfe sans possibilité de manœuvrer ou de s'échapper.

- Les messages interceptés indiquent que l'aérodrome de Tacloban est opérationnel : un porte-avions incoulable ! Nous serons attaqués par des nuées d'avions !

Faire demi-tour à deux heures de Leyte serait perdre la face. L'amiral cherche alors un prétexte et il le trouve. Plus tôt dans la matinée, une reconnaissance aérienne de Manille avait signalé une escadre ennemie à 110 milles au nord-est de Suluan. Kurita s'en empare :

- Messieurs, nous avons amoindri la flotte des porte-avions américains. Faire demi-tour pour rechercher ce groupe et le détruire, et rejoindre la force d'Ozawa, nous placerait en position avantageuse pour les opérations à venir. Que l'on mette cap au nord-ouest.

Un intense soulagement éclaire la face des officiers. Après tout, la honte sera pour Kurita seul. Le commandant Koyanagi transmet les ordres à la flotte : cap sur San Bernardino. Leyte est sauvée. La Marine impériale vient de gâcher sa dernière occasion de remporter la victoire décisive.

Plus tard, Winston Churchill écrira à propos de l'amiral Kurita :

- "Que ceux qui ont enduré pareil calvaire le jugent."

Kurita harcelé par l'aviation

A 12:00, torpilles et munitions explosent sur le Suzuya. Ordre est donné d'abandonner le navire. 400 marins et officiers dont le commandant Teraoka sont recueillis par le destroyer Okinami.
A 13:00, le TG-38.1 du vice-amiral John McCain, rappelé en urgence par Halsey, entre dans la danse. Ses porte-avions d'escadre Hornet, Wasp et Hancock ont lancé à 335 milles de Leyte, 19 Avenger, 33 Helldiver et 46 Hellcat. Grâce aux informations transmises par Taffy 2, le corps de bataille japonais est localisé à l'ouest de Samar, filant 24 nœuds vers le détroit de San Bernardino. Bien repris en main par Kurita, il évolue comme un bloc compact, tous à la fois. Les multiples manœuvres d'exercice imposées par l'amiral en septembre portent leurs fruits. C'est un feu meurtrier qui est désormais opposé aux attaques américaines. Cette seconde vague qui ne met aucun coup au but.
A 13:22, le croiseur lourd Suzuya chavire.
A 14:15, le croiseur lourd Chikuma qui se traîne à 9 noeuds est touché à trois reprises et sombre à 14:30.
A 15:00, c'est encore un échec complet pour le troisième raid de 20 Helldiver, 13 Avenger et 20 Hellcat, parti du TG-38.1. Pour la première fois, Kurita est couvert par l'aviation des Philippines, mais les pilotes n'ont aucune capacité à trouver les lanceurs américains. Le destroyer Nowaki resté en arrière pour recueillir l'équipage du Chikuma est atteint.
Trois autres raids sont mis en vol jusqu'à 17 heures. Mais les pilotes sont épuisés; certains volent depuis le matin et les résultats ne sont pas significatifs.
A 21:48, le croiseur lourd Chokai est achevé à la torpille par le destroyer Fujinami qui a embarqué les survivants, dont le commandant Tanaka.

La chasse des cuirassés américains

Depuis 11:15, sous la pression de Nimitz, Halsey et ses six cuirassés revenaient vers Leyte à marche forcée. Ils avaient dû ralentir pendant 2 heures pour faire ravitailler les destroyers. Vers 16:30, comprenant que Kurita va lui échapper, il divise son groupe en deux et part avec le New Jersey et le Iowa, 3 croiseurs légers et 8 destroyers, cap à 28 nœuds sur le détroit de San Bernardino. Lee reste en soutien avec les 3 porte-avions de Bogan, prêts à intervenir en cas de rencontre avec l'ennemi.
A 19:30, l'escadre de Kurita se met sur une file en vue de franchir le dangereux détroit. A 21:40, Halsey apprend par un avion de reconnaissance de l'Independence qu'il a deux heures et demie de retard sur Kurita qui vient de franchir le détroit. Lorsque vers minuit, Halsey atteint le détroit, Kurita navigue déjà en mer de Sibuyan.

- Pas question de poursuivre les Japonais avec seulement deux cuirassés dit Halsey. Explorons les abords du détroit, puis descendons le long de Samar en détruisant tous les navires avariés rencontrés.

C'est ainsi que le malheureux Nowaki qui tentait de passer en rasant la côte se fait intercepter. A 00:54 le 26 octobre, les croiseurs ouvrent le feu à 10 000 mètres. C'est une véritable exécution. En 3 minutes, le destroyer s'embrase de l'avant à l'arrière et coule.


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Sources

  • Les grandes batailles navales de la Seconde Guerre mondiale, par J-Jacques ANTIER.
  • Champs de bataille - Seconde Guerre mondiale n°5 de janvier 2010
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