L'attaque en mer de Sibuyan

De WikiMs.

(Différences entre les versions)
m (Je n'aime pas votre plan, Mitscher !)
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Aussitôt, Halsey réunit son état-major pour délibérer de sa stratégie à adopter.<br/ >
Aussitôt, Halsey réunit son état-major pour délibérer de sa stratégie à adopter.<br/ >
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:''Messieurs,'' dit Halsey, ''nous sommes devant une situation nouvelle, que l'on peut résumer ainsi : toutes les forces navales dont dispose l'ennemi convergent à nouveau sur Leyte. Le choc, ou plutôt la série de chocs se produira demain, 25 octobre. Pour le sud, je ne suis pas inquiet. Les deux escadres japonaises repérées en [https://fr.wikipedia.org/wiki/Jolo mer de Jolo] ne totalisent que deux cuirassés et quatre croiseurs lourds. La VII° flotte de l'amiral [https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_C._Kinkaid Kinkaid] les anéantira dans le détroit de Surigao grâce aux six cuirassés de l'amiral [https://fr.wikipedia.org/wiki/Jesse_B._Oldendorf Oldendorf]. Dès demain, le TG.1 de McCain, qui arrive d'[https://fr.wikipedia.org/wiki/Ulithi Ulithi], sera à portée du golfe, également défendu par les dix-huit porte-avions de [https://fr.wikipedia.org/wiki/Clifton_Sprague Sprague]. Reste le nord.''<br/ >
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:- ''Messieurs,'' dit Halsey, ''nous sommes devant une situation nouvelle, que l'on peut résumer ainsi : toutes les forces navales dont dispose l'ennemi convergent à nouveau sur Leyte. Le choc, ou plutôt la série de chocs se produira demain, 25 octobre. Pour le sud, je ne suis pas inquiet. Les deux escadres japonaises repérées en [https://fr.wikipedia.org/wiki/Jolo mer de Jolo] ne totalisent que deux cuirassés et quatre croiseurs lourds. La VII° flotte de l'amiral [https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_C._Kinkaid Kinkaid] les anéantira dans le détroit de Surigao grâce aux six cuirassés de l'amiral [https://fr.wikipedia.org/wiki/Jesse_B._Oldendorf Oldendorf]. Dès demain, le TG.1 de McCain, qui arrive d'[https://fr.wikipedia.org/wiki/Ulithi Ulithi], sera à portée du golfe, également défendu par les dix-huit porte-avions de [https://fr.wikipedia.org/wiki/Clifton_Sprague Sprague]. Reste le nord.''<br/ >
Le regard de Halsey s'appesantit sur la carte. Son doigt se pose sur le [https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9troit_de_San-Bernardino détroit de San Bernardino].<br/ >
Le regard de Halsey s'appesantit sur la carte. Son doigt se pose sur le [https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9troit_de_San-Bernardino détroit de San Bernardino].<br/ >
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:''Faut-il attendre là Kurita, ou foncer vers le nord pour engager Ozawa, ou faire front simultanément en divisant nos forces ? Essayez d'avoir la liaison avec Mitscher au TBS.''<br/ >
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:- ''Faut-il attendre là Kurita, ou foncer vers le nord pour engager Ozawa, ou faire front simultanément en divisant nos forces ? Essayez d'avoir la liaison avec Mitscher au TBS.''<br/ >
Le commandant de la TF.38, qui navigue à 150 milles de là à bord du Lexington, a naturellement suivi ces péripéties avec la même passion que son chef, d'autant qu'il se trouve avec le groupe de [https://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_C._Sherman Sherman], le plus au nord, donc le plus exposé. Il donne franchement son avis :<br/ >
Le commandant de la TF.38, qui navigue à 150 milles de là à bord du Lexington, a naturellement suivi ces péripéties avec la même passion que son chef, d'autant qu'il se trouve avec le groupe de [https://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_C._Sherman Sherman], le plus au nord, donc le plus exposé. Il donne franchement son avis :<br/ >
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:''Kurita tentera peut-être de franchir le détroit cette nuit, amiral. Il faut donc le contrer avec des cuirassés. Au matin, vous serez en force pour l'achever avec les avions des deux groupes [https://en.wikipedia.org/wiki/Gerald_F._Bogan Bogan] et Davison. Quant à moi, avec deux cuirassés et le groupe Sherman, je suis en mesure de m'opposer à Ozawa. C'est la disposition que j'ai prise à 17:15. Le [https://fr.wikipedia.org/wiki/USS_Massachusetts_%28BB-59%29 Massachusetts] et le [https://fr.wikipedia.org/wiki/USS_South_Dakota_%28BB-57%29 South Dakota], avec deux croiseurs légers font route au nord sur l'avant-garde des cuirassés hybrides que nous avons repérés.''<br/ >
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:- ''Kurita tentera peut-être de franchir le détroit cette nuit, amiral. Il faut donc le contrer avec des cuirassés. Au matin, vous serez en force pour l'achever avec les avions des deux groupes [https://en.wikipedia.org/wiki/Gerald_F._Bogan Bogan] et Davison. Quant à moi, avec deux cuirassés et le groupe Sherman, je suis en mesure de m'opposer à Ozawa. C'est la disposition que j'ai prise à 17:15. Le [https://fr.wikipedia.org/wiki/USS_Massachusetts_%28BB-59%29 Massachusetts] et le [https://fr.wikipedia.org/wiki/USS_South_Dakota_%28BB-57%29 South Dakota], avec deux croiseurs légers font route au nord sur l'avant-garde des cuirassés hybrides que nous avons repérés.''<br/ >
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:''Je n'aime pas votre plan, Mitscher ! Il pèche contre l'un des grands principes de la guerre navale, qui est la concentration des forces. Nous ne devons pas nous diviser !''<br/ >
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:- ''Je n'aime pas votre plan, Mitscher ! Il pèche contre l'un des grands principes de la guerre navale, qui est la concentration des forces. Nous ne devons pas nous diviser !''<br/ >
Sans l'avouer, Halsey redoute aussi que Mitscher s'adjuge le bénéfice d'une bataille décisive, la destruction des porte-avions ennemis qui, pendant deux ans, ont fait trembler l'Amérique. Par ailleurs, s'il surestime Ozawa (sans avoir que ce dernier commande des porte-avions fantômes), il sous-estime gravement le corps de bataille de Kurita. Il a pris à la lettre les rapports des aviateurs, qui ont non seulement annoncé la destruction du ''Musashi'', mais prétendent avoir mis à mal plusieurs autres cuirassés.<br/ >
Sans l'avouer, Halsey redoute aussi que Mitscher s'adjuge le bénéfice d'une bataille décisive, la destruction des porte-avions ennemis qui, pendant deux ans, ont fait trembler l'Amérique. Par ailleurs, s'il surestime Ozawa (sans avoir que ce dernier commande des porte-avions fantômes), il sous-estime gravement le corps de bataille de Kurita. Il a pris à la lettre les rapports des aviateurs, qui ont non seulement annoncé la destruction du ''Musashi'', mais prétendent avoir mis à mal plusieurs autres cuirassés.<br/ >
Pour lui, une flotte moribonde se traîne à 12 nœuds vers le détroit. Il doute même de la voir franchir les dangereuses passes. Si cela se produisait, Kinkaid dispose d'assez de forces pour s'y opposer. Alors Halsey, après avoir réglé leur compte aux porte-avions d'Ozawa, reviendra sur Leyte pour couper toute retraite à Kurita et l'achever.<br/ >
Pour lui, une flotte moribonde se traîne à 12 nœuds vers le détroit. Il doute même de la voir franchir les dangereuses passes. Si cela se produisait, Kinkaid dispose d'assez de forces pour s'y opposer. Alors Halsey, après avoir réglé leur compte aux porte-avions d'Ozawa, reviendra sur Leyte pour couper toute retraite à Kurita et l'achever.<br/ >
Face à ses écrasantes responsabilités, l'amiral Halsey est seul. En référer à son chef Nimitz ne changera rien. Il sait que Nimitz souhaite la destruction des porte-avions ennemis, une occasion incomparable qui ne se renouvellera peut-être jamais.<br/ >
Face à ses écrasantes responsabilités, l'amiral Halsey est seul. En référer à son chef Nimitz ne changera rien. Il sait que Nimitz souhaite la destruction des porte-avions ennemis, une occasion incomparable qui ne se renouvellera peut-être jamais.<br/ >
Ayant pris congé de Mitscher, Halsey se tourne vers ses officiers.<br/ >
Ayant pris congé de Mitscher, Halsey se tourne vers ses officiers.<br/ >
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:''L'amiral Nimitz m'a clairement défini les missions de notre III° flotte : "Couvrir et appuyer le débarquement par des attaques aériennes et navales, assurer le soutien stratégique de l'opération". Mais il a ajouté : "Si l'occasion de détruire une partie importante de la flotte ennemie se présente, ou peut être créée, cette destruction deviendra votre mission principale"''.<br/ >  
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:- ''L'amiral Nimitz m'a clairement défini les missions de notre III° flotte : "Couvrir et appuyer le débarquement par des attaques aériennes et navales, assurer le soutien stratégique de l'opération". Mais il a ajouté : "Si l'occasion de détruire une partie importante de la flotte ennemie se présente, ou peut être créée, cette destruction deviendra votre mission principale"''.<br/ >  
:''D'ailleurs, messieurs, vous le savez : livrer la bataille décisive est le rêve de tous les marins du monde depuis Nelson. Et pour moi, la bataille décisive est au nord ! Mais je ne veux faire courir aucun risque au général MacArthur. La III° flotte se divisera donc. Tous nos porte-avions feront route au nord pour engager demain matin les porte-avions ennemis, tandis que les cuirassés, sous le commandement de l'amiral [https://fr.wikipedia.org/wiki/Willis_Augustus_Lee Lee], garderont le détroit de San Bernardino.''<br/ >
:''D'ailleurs, messieurs, vous le savez : livrer la bataille décisive est le rêve de tous les marins du monde depuis Nelson. Et pour moi, la bataille décisive est au nord ! Mais je ne veux faire courir aucun risque au général MacArthur. La III° flotte se divisera donc. Tous nos porte-avions feront route au nord pour engager demain matin les porte-avions ennemis, tandis que les cuirassés, sous le commandement de l'amiral [https://fr.wikipedia.org/wiki/Willis_Augustus_Lee Lee], garderont le détroit de San Bernardino.''<br/ >
Cette sage décision est prise à 20:15. Malheureusement, Halsey, tenaillé par le principe de la concentration des forces, y renonce peu après, bien que ses reconnaissances lui aient confirmé qu'Ozawa ne dispose que de deux cuirassés hybrides.<br/ >
Cette sage décision est prise à 20:15. Malheureusement, Halsey, tenaillé par le principe de la concentration des forces, y renonce peu après, bien que ses reconnaissances lui aient confirmé qu'Ozawa ne dispose que de deux cuirassés hybrides.<br/ >
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:''Nos cuirassés sans couverture aérienne pourraient être attaqués demain par l'aviation des Philippines; et nos porte-avions sans cuirassés risqueraient de se trouver à leur désavantage si les bâtiments de ligne d'Ozawa arrivaient à portée de canon cette nuit. Tous les bateaux de la TF.38, y compris le groupe McCain, me rallieront donc et nous ferons route en mer des Philippines, cap au nord, à 25 nœuds. En tête, les cuirassés de Lee engageront l'avant-garde cuirassée ennemie si un combat nocturne lui est offert. Après concentration des quatre Task-Groups, l'amiral Mitscher attaquera à l'aube avec ses porte-avions.''<br/ >
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:- ''Nos cuirassés sans couverture aérienne pourraient être attaqués demain par l'aviation des Philippines; et nos porte-avions sans cuirassés risqueraient de se trouver à leur désavantage si les bâtiments de ligne d'Ozawa arrivaient à portée de canon cette nuit. Tous les bateaux de la TF.38, y compris le groupe McCain, me rallieront donc et nous ferons route en mer des Philippines, cap au nord, à 25 nœuds. En tête, les cuirassés de Lee engageront l'avant-garde cuirassée ennemie si un combat nocturne lui est offert. Après concentration des quatre Task-Groups, l'amiral Mitscher attaquera à l'aube avec ses porte-avions.''<br/ >
Le sort en est jeté. Les américains foncent tête baissée dans le piège Sho-Go. Or, tous les adjoints de Halsey sont d'avis contraire.<br/ >
Le sort en est jeté. Les américains foncent tête baissée dans le piège Sho-Go. Or, tous les adjoints de Halsey sont d'avis contraire.<br/ >
L' ''Independence'', remontant vers le nord avec le TG Bogan, est contraint de rappeler ses avions. Le précieux contact est ainsi perdu avec Kurita. Halsey n'a même pas laissé un destroyer en faction face au détroit.
L' ''Independence'', remontant vers le nord avec le TG Bogan, est contraint de rappeler ses avions. Le précieux contact est ainsi perdu avec Kurita. Halsey n'a même pas laissé un destroyer en faction face au détroit.

Version du 10 décembre 2015 à 21:51

Sommaire

Kurita reprend le commandement

23 octobre 1944 07:00.

Quels sont les ordres, Amiral ?

A bord du destroyer Kishinami, le commandant Fukuoka ne cesse de répéter cette question. Emmitouflé dans le kimono de son hôte, l'amiral Kurita, grelottant, lui répond calmement:

Retrouver le Yamato.

A bord du plus gros cuirassé du monde, le vice-amiral Matome Ugaki et son état-major sont en pleine confusion. Partout on croit détecter des sous-marins ! Tous les quarts d'heure, un veilleur hurle :

Périscope à l'avant !

Le cuirassé évolue brutalement et le reste de l'armada suit dans son sillage. Les projecteurs claquent, les destroyers se ruent et criblent la mer de grenades.
Croyant Kurita mort, Ugaki s'apprête à lui succéder. Aussi éprouve t-il un grand soulagement lorsqu'à 08:30 il reçoit un message radio d'avoir à assumer provisoirement le commandement puisqu'il est impossible de stopper en raison du péril sous-marin.
Ugaki prend aussitôt les premières dispositions :

Il détache les destroyers Asashimo et Naganami à escorter le croiseur lourd Takao moribond, qui se traîne à 7 nœuds, jusqu'à Brunei.
Il rend compte à Tokyo de la situation en concluant que l'opération Sho-Go se poursuit.
Malgré le péril sous-marin, il fait réduire l'allure de la flotte à 20 nœuds de crainte d'être à court de carburant pour le retour.

Takao et son escorte arrivent à Brunei le 25 octobre. Naganami en repart à midi pour Coron Bay. Asashimo appareille de Brunei le 29 octobre pour Manille où il arrive le 31.

La folie anti-sous-marine continue à sévir. Entre 11:00 et 14:30, sept alertes ! Des avions de Palawan, qui couvrent maintenant la flotte, ajoutent à la confusion en grenadant de prétendus périscopes.
A 15:30, la flotte est enfin sortie du Dangerous Ground. Le Yamato stoppe. Une heure plus tard, Kurita, accompagné de son état-major, est à bord et reprend le commandement. Dans la soirée, alors que la flotte arrive en vue des îles Calamian, l'opérateur radio du Yamato décode ce message de Tokyo :

A tous les bâtiments à la mer. L'ennemi connaît les mouvements de notre corps de bataille principal. Attendez-vous à des attaques de l'aviation embarquée en mer de Sibuyan et à des barrages sous-marins dans les détroits de San Bernardino et de Surigao. Poursuivez l'exécution du plan Sho-Go.

Le 24 octobre 1944

Les messages du Darter et du Dace avaient mis les états-majors américains en ébullition à Pearl Harbor, comme dans le golfe de Leyte ou sur le cuirassé New-Jersey à bord duquel William Halsey commande la III° flotte. En conséquence, d'autres sous-marins avaient pris le relais.
Dans la nuit du 23 au 24 octobre, l' USS Angler (capitaine de corvette Franklin G. Hess) repère Kurita au large de la pointe nord de Palawan, mais malgré une poursuite au radar ne peut prendre une position d'attaque. L'USS Bream (capitaine de corvette Wreford G. Chapple) réussit à torpiller le croiseur lourd Aoba au large de Manille, précédemment pourchassé en vain par le Darter et le Dace, la veille. voir la carte. La flotte est ensuite signalée par l'USS Guitarro (capitaine de corvette Enrique D. Haskins) au passage de Mindoro.
A l'aube du 24 octobre, alors que Kurita entre en mer de Sibuyan par le détroit de Tablas, les porte-avions de Halsey positionnés 150 milles au nord-est mettent le nez au vent pour lancer. Chaque section doit couvrir 10° d'arc assigné à son porte-avions. A 08:00, Kurita ordonne de prendre le dispositif anti-aérien. La flotte qui s'étirait sur 10 kilomètres, se serre et se concentre, les cuirassés et les croiseurs lourds au centre à l'intérieur d'un bloc compact qui doit opposer des centaines de canons à toute attaque aérienne. A 08:10, trois avions de reconnaissance US sont en vue au nord. La flotte japonaise est de nouveau repérée. A 08:12, le message arrive sur le bureau de Halsey qui aussitôt alerte les commandants de la TF38 pour une attaque immédiate et sans réserve.
Mais vers 09:00, arrive un message de l'Enterprise. Ses avions ont détecté une nouvelle formation japonaise. Volant à la limite de son rayon d'action, la patrouille de l'E.V. Moore a découvert l'escadre de Nishimura à l'entrée de la mer de Mindanao. Ce qu'il reste d'avions de la TF38 est envoyée attaquer cette armada, mais pour Halsey deux évidences s'imposent :

  • la tenaille japonaise est maintenant identifiée et ses objectifs sont clairs.
  • les porte-avions nippons, absents de ces formations, sont forcément ailleurs et très probablement au nord.

A terre, l'amiral Fukudome, ancien chef d'état-major de la Marine Impériale, commande la II° flotte aérienne, forte seulement de 350 avions transférés aux Philippines. Malgré les appels de Kurita à la couvrir et ne disposant pas de suffisamment de ressources pour deux objectifs, il choisit l'attaque sur les porte-avions américains. Vers 09:00 le Princeton est repéré et attaqué. Une bombe de 250 kg traverse le pont d'envol et déclenche un violent incendie. Le porte-avions sort de la ligne de combat escorté par deux destroyers, tandis que le gros du groupe se réfugie sous les grains et que son aviation décime le vol japonais.
Pendant que le Princeton lutte pour sa survie, la situation de Kurita est précaire. La surprise du plan Sho-Go a échoué, le gros de la flotte japonaise est repéré 24 heures avant son arrivée hypothétique à Leyte. Le piège monté par Toyoda pour attirer Halsey loin des Philippines a également échoué, les porte-avions d'Ozawa n'ayant pas été repérés. A la suite de l'échec des forces aériennes de Fukudome, Kurita ne dispose désormais plus d'aucune couverture aérienne.
Peu avant 10:00, alors que la flotte remonte la côte de Mindoro, un vol massif est annoncé dans l'est. Kurita fait augmenter la vitesse à 24 nœuds. A 10:25, c'est l'attaque. La DCA entre en action. Plusieurs aéronefs sont touchés mais l'un d'eux a réussi à placer une torpille sur le Musashi, et un autre sur le Myoko touché dans le compartiment des machines et dont la vitesse tombe à 15 nœuds. Le croiseur est rapidement sorti de la ligne. Alors que le vol rejoint son porte-avions l'Intrepid, le destroyer Kishinami, avec à bord les rescapés du naufrage de l' Atago est détaché pour escorter Myoko jusqu'à Brunei.
A 12:44 une seconde vague d'avions torpilleurs venant de l'Essex fond sur l'escadre japonaise. Musashi est atteint par deux bombes de 500 kg et deux torpilles et s'enfonce de l'avant. Ne pouvant donner que 22 nœuds, la flotte ralentit son allure. Pour le coup Kurita commence à s'inquiéter. Yamato a également été atteint par une bombe, il reste 6 heures de jour et il n'a aucune nouvelle d'Ozawa qui, à 400 milles au nord-est, tente désespérément de se faire repérer par des appels radio. A 13:15, il envoie ce message : Sommes l'objet d'attaques répétées de l'aviation embarquée américaine. Signalez immédiatement les contacts pris et les attaques effectuées sur l'ennemi.
Aucune réponse ne lui parvient.
Peu après 14:00 une nouvelle attaque comporte cette fois 65 avions bombardiers et torpilleurs. Dans le camp japonais, c'est la déroute totale et chacun pour sa peau. Bombardé et torpillé, Musashi est désemparé et sort de l'escadre accompagné du croiseur lourd Tone. A 16:00, Kurita, le moral dans les chaussettes, prend la décision temporaire de se retirer vers l'ouest à 18 nœuds hors de portée de l'aviation. Une heure plus tard, une nouvelle vague d'assaut envahit le ciel. Les pilotes annoncent plusieurs coups au but sur Yamato, Nagato, Kongo et Haruna mais c'est Musashi qui subit les plus fortes agressions. Le cuirassé est totalement désemparé et embarque des tonnes d'eau. Il ne tarde pas à sombrer. Hamakaze et Kiyoshimo recueillent 1 264 survivants.
A 17:14, Kurita, après avoir délibéré avec ses officiers, donne l'ordre de reprendre la marche vers le détroit de San Bernardino.

Pendant ce temps, Ozawa...

Ce n'était pas vraiment la faute du vice-amiral Ozawa s'il n'avait pas encore été repéré ! Malgré toutes les reconnaissances aériennes, Halsey ne l'avait tout simplement pas trouvé.
Le 23 octobre à l'aube, l'escadre japonaise avait lancé une patrouille aérienne, sans succès. Puis Ozawa était avisé de l'attaque du Darter sur la force centrale. Donc, Kurita repéré, il devenait urgent de détourner Halsey. Usant des grands moyens, le Zuikaku avait émis à 20 heures un long message radio à toute puissance. En vain.

Alors le 24 octobre à 11:45, Ozawa envoie le contre-amiral Chiyaki Matsuda en avant-garde à la tête des deux cuirassés hybrides Hyuga et Ise, escortés par les destroyers Akizuki, Hatsuzuki, Shimotsuki et Wakatsuki. A 15:15, Matsuda est repéré par une reconnaissance aérienne de la TF.38 de l'amiral Mitsher à 18°10'N - 124°30'E voir la carte. Ozawa est lui-même repéré à 17:00 alors qu'il est à 190 milles des porte-avions US, mais il est trop tard pour lancer une attaque avant la nuit. A 22:30, Matsuda rejoint Ozawa.

Entre temps, à 19:15 le message d'un avion de l'USS Independence arrive sur le bureau d'Halsey : en mer de Sibuyan, le corps de bataille de Kurita a fait demi-tour et revient à l'attaque !

Je n'aime pas votre plan, Mitscher !

Aussitôt, Halsey réunit son état-major pour délibérer de sa stratégie à adopter.

- Messieurs, dit Halsey, nous sommes devant une situation nouvelle, que l'on peut résumer ainsi : toutes les forces navales dont dispose l'ennemi convergent à nouveau sur Leyte. Le choc, ou plutôt la série de chocs se produira demain, 25 octobre. Pour le sud, je ne suis pas inquiet. Les deux escadres japonaises repérées en mer de Jolo ne totalisent que deux cuirassés et quatre croiseurs lourds. La VII° flotte de l'amiral Kinkaid les anéantira dans le détroit de Surigao grâce aux six cuirassés de l'amiral Oldendorf. Dès demain, le TG.1 de McCain, qui arrive d'Ulithi, sera à portée du golfe, également défendu par les dix-huit porte-avions de Sprague. Reste le nord.

Le regard de Halsey s'appesantit sur la carte. Son doigt se pose sur le détroit de San Bernardino.

- Faut-il attendre là Kurita, ou foncer vers le nord pour engager Ozawa, ou faire front simultanément en divisant nos forces ? Essayez d'avoir la liaison avec Mitscher au TBS.

Le commandant de la TF.38, qui navigue à 150 milles de là à bord du Lexington, a naturellement suivi ces péripéties avec la même passion que son chef, d'autant qu'il se trouve avec le groupe de Sherman, le plus au nord, donc le plus exposé. Il donne franchement son avis :

- Kurita tentera peut-être de franchir le détroit cette nuit, amiral. Il faut donc le contrer avec des cuirassés. Au matin, vous serez en force pour l'achever avec les avions des deux groupes Bogan et Davison. Quant à moi, avec deux cuirassés et le groupe Sherman, je suis en mesure de m'opposer à Ozawa. C'est la disposition que j'ai prise à 17:15. Le Massachusetts et le South Dakota, avec deux croiseurs légers font route au nord sur l'avant-garde des cuirassés hybrides que nous avons repérés.
- Je n'aime pas votre plan, Mitscher ! Il pèche contre l'un des grands principes de la guerre navale, qui est la concentration des forces. Nous ne devons pas nous diviser !

Sans l'avouer, Halsey redoute aussi que Mitscher s'adjuge le bénéfice d'une bataille décisive, la destruction des porte-avions ennemis qui, pendant deux ans, ont fait trembler l'Amérique. Par ailleurs, s'il surestime Ozawa (sans avoir que ce dernier commande des porte-avions fantômes), il sous-estime gravement le corps de bataille de Kurita. Il a pris à la lettre les rapports des aviateurs, qui ont non seulement annoncé la destruction du Musashi, mais prétendent avoir mis à mal plusieurs autres cuirassés.
Pour lui, une flotte moribonde se traîne à 12 nœuds vers le détroit. Il doute même de la voir franchir les dangereuses passes. Si cela se produisait, Kinkaid dispose d'assez de forces pour s'y opposer. Alors Halsey, après avoir réglé leur compte aux porte-avions d'Ozawa, reviendra sur Leyte pour couper toute retraite à Kurita et l'achever.
Face à ses écrasantes responsabilités, l'amiral Halsey est seul. En référer à son chef Nimitz ne changera rien. Il sait que Nimitz souhaite la destruction des porte-avions ennemis, une occasion incomparable qui ne se renouvellera peut-être jamais.
Ayant pris congé de Mitscher, Halsey se tourne vers ses officiers.

- L'amiral Nimitz m'a clairement défini les missions de notre III° flotte : "Couvrir et appuyer le débarquement par des attaques aériennes et navales, assurer le soutien stratégique de l'opération". Mais il a ajouté : "Si l'occasion de détruire une partie importante de la flotte ennemie se présente, ou peut être créée, cette destruction deviendra votre mission principale".
D'ailleurs, messieurs, vous le savez : livrer la bataille décisive est le rêve de tous les marins du monde depuis Nelson. Et pour moi, la bataille décisive est au nord ! Mais je ne veux faire courir aucun risque au général MacArthur. La III° flotte se divisera donc. Tous nos porte-avions feront route au nord pour engager demain matin les porte-avions ennemis, tandis que les cuirassés, sous le commandement de l'amiral Lee, garderont le détroit de San Bernardino.

Cette sage décision est prise à 20:15. Malheureusement, Halsey, tenaillé par le principe de la concentration des forces, y renonce peu après, bien que ses reconnaissances lui aient confirmé qu'Ozawa ne dispose que de deux cuirassés hybrides.

- Nos cuirassés sans couverture aérienne pourraient être attaqués demain par l'aviation des Philippines; et nos porte-avions sans cuirassés risqueraient de se trouver à leur désavantage si les bâtiments de ligne d'Ozawa arrivaient à portée de canon cette nuit. Tous les bateaux de la TF.38, y compris le groupe McCain, me rallieront donc et nous ferons route en mer des Philippines, cap au nord, à 25 nœuds. En tête, les cuirassés de Lee engageront l'avant-garde cuirassée ennemie si un combat nocturne lui est offert. Après concentration des quatre Task-Groups, l'amiral Mitscher attaquera à l'aube avec ses porte-avions.

Le sort en est jeté. Les américains foncent tête baissée dans le piège Sho-Go. Or, tous les adjoints de Halsey sont d'avis contraire.
L' Independence, remontant vers le nord avec le TG Bogan, est contraint de rappeler ses avions. Le précieux contact est ainsi perdu avec Kurita. Halsey n'a même pas laissé un destroyer en faction face au détroit.

Les dieux soient loués

A bord du Yamato, l'horloge affiche 00:37. L'amiral Ugaki murmure :

Le détroit de San Bernardino s'inscrit dans nos sillages.
La mer est libre ! Les dieux soient loués ! s'écrie Kurita. Le piège a joué. Halsey a dû repérer Ozawa et il a lâché la proie pour l'ombre.
Amiral, un message de l'amiral Shima : "Confirme mon message de 22:45. Ai l'intention d'explorer le golfe de Leyte, en tournant dans le sens horaire, après avoir franchi la région de Dulag, puis de revenir vers l'entrée sud du détroit de Surigao en détruisant tous les bâtiments ennemis rencontrés" .

De toute évidence, le commandant des croiseurs lourds ignore que Kurita a 6 heures de retard ...

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Sources

  • Les grandes batailles navales de la Seconde Guerre mondiale, par J-Jacques ANTIER.
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