Le passage de Palawan

De WikiMs.

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L'ordre de trop

Mer de Chine méridionale, 22 octobre 1944,

La flotte du vice-amiral Takeo Kurita s'engage dans l'étroit couloir de 20 km bordé à l'est par l'île de Palawan et à l'ouest par une ceinture de récifs coralliens, le Dangerous Ground.
A 23 heures Kurita, hanté par la peur de s'échouer sur les récifs, donne un ordre dont les conséquences vont être considérables :

Signalez à la flotte de réduire à 16 nœuds. Cessez les zigzags. Prendre la formation de nuit sur deux colonnes.

La flotte fait route maintenant au 040, sur deux colonnes distantes de 4 000 mètres. Le croiseur lourd Myoko est en tête de la colonne tribord, suivi du Haguro et du Maya, puis viennent les deux super-cuirassés : Musashi et Yamato. La colonne bâbord est conduite par le navire-amiral, l'Atago, dans son sillage les croiseurs lourds Takao et Chokai, puis le cuirassé Nagato. Une colonne de destroyers est déployée en file indienne sur chaque flanc, aucun devant. Entre les deux colonnes, une file de destroyers garde le cœur contre toute attaque sous-marine. A 6 000 mètres en arrière, l'escadre de l'amiral Suzuki ferme la marche avec les cuirassés Haruna, Kongo et les quatre bâtiments des 7ème et 8ème divisions de croiseurs, entourés de leurs destroyers selon le même schéma que la première section.

L'attaque des sous-marins

Après avoir chassé 7 heures en vain deux gros transports de troupes escortés par le croiseur Aoba, l'USS Darter (capitaine de frégate McClintock) et l'USS Dace (capitaine de corvette Claggett) patrouillent entre Bornéo et le détroit de Balabac, lorsque le 22 octobre à minuit les opérateurs radios reçoivent de Brisbane le message suivant :

Deux convois vers votre zone, venant de l'ouest.
Allons-y, annonce McClintock à Claggett. Ratissons largement le secteur.

Tandis que le Dace s'éloigne, l'opérateur radar du Darter signale :

Contact au 130. Distance 25 000 yards. Le relèvement se déplace sur bâbord, cap au nord-est. Grands bâtiments sur deux colonnes, vitesse 15 nœuds.

Par mégaphone, Claggett et McClintock élaborent leur plan d'attaque.

Nous n'attaquerons pas de nuit ! Les ordres sont d'alerter le quartier général après identification. Je laisse votre Darter attaquer la colonne de gauche. Cinq milles plus loin, je lancerai sur celle de droite, propose Claggett.
OK. En avant !

A 19 nœuds, les sous-marins filent vers le point d'interception.

De Darter à ComSubPac et tous sous-marins secteur sud-ouest de Palawan : poursuivons escadre de ligne. Onze bâtiments lourds et onze escorteurs. Position 116°10' est, 8°30' nord. Cap au 039, 15 nœuds.

Tel est le message envoyé par McClintock, au risque d'être repéré. La réponse de l'amiral Lockwood ne se fait pas attendre :

Bien reçu. Attaquez mais tâchez de savoir s'il y a des porte-avions

Bien que Kurita ait capté les émissions, sans les comprendre, il n'en modifie ni sa vitesse, ni sa formation.
A 5 heures 10, les sous-marins sont enfin en avant de la flotte. Les ordres de McClintock retentissent dans les hauts-parleurs :

Aux postes de combat ! Immersion périscopique. Cap sur l'objectif. En avant 2/3. Radar ?
Distance 10 000 yards, Commandant, cap 039, vitesse 15 nœuds.
Ouvrez les portes et remplissez les tubes !

Le Dace plonge à son tour et gagne sa position de lancement à tribord.
5 heures 27 : McClintock est derrière le périscope.

Objectif un croiseur lourd classe Takao, le premier de la colonne, distance 3 000 yards, parer les six tubes avant pour un lancement en gerbe à 90°. Immersion des torpilles 13 pieds. Annoncez les gisements à courir.
Inclinaison ?
Soixante-cinq, annonce l'enseigne Wilkinson chargé du calculateur. Placé !

05 heures 31 : Le but envahit le champ du périscope.

Distance 1 000 yards, annonce McClintock. Inclinaison ?
Inclinaison quatre-vingt-dix, paré à lancer, Commandant.
Tube 1, feu ! Attention tube 2 ...

Price, l'officier torpilleur appuie sur le bouton de mise à feu et répète l'ordre.

Torpille 1 partie.
Tube 2, feu ! Attention tube3. Inclinaison ?
Inclinaison quatre-vingt-sept. Placé.
Tube 3, feu !

En moins d'une minute, les six torpilles sont parties. Un projecteur s'allume sur le croiseur. Sont-ils repérés ? Mais l'ennemi ne change ni de cap ni de vitesse.

La barre à droite, toute ! Changement de but sur le second croiseur.
Distance ? Commandant, réclame Wilkinson.
1 400 yards, vitesse 15 nœuds. Inclinaison ?
Soixante-dix. Calculateur paré.
Tubes 7, feu ! Tube 8, feu ! Tube 9, feu ! Tube 10, feu !

La dernière torpille n'est pas sitôt sortie qu'une énorme déflagration secoue le Darter, puis une seconde et encore deux autres. Dans le périscope McClintock assiste à l'agonie du croiseur qui déjà s'enfonce, la plage avant partiellement submergée.

Immersion profonde, route d'évitement. Vérifiez au sondeur.

Tandis que le Darter s'échappe, quatre nouveaux impacts sont enregistrés sur le second croiseur, qui s'avèrera être le Takao.
Quelques instants plus tard, le Dace attaque la colonne tribord. A 5 h 32, Claggett, à l'observation périscopique, a entendu les explosions.

Le Darter a mis au but. Un grand bâtiment explose. J'espère qu'il ne vont pas changer de cap.

Dix minutes plus tard, les japonais sont à portée de tir. Claggett identifie les trois croiseurs de tête, puis les silhouettes des super-cuirassés Yamato et Musashi. Il en vient à regretter d'avoir gaspillé ses torpilles sur de vulgaires cargos, car ses tubes arrière sont vides. Résolument, il ne veut lancer qu'avec la certitude de couler la plus grosse pièce. Finalement, son choix se porte sur le troisième bâtiment de la colonne, un croiseur lourd classe Takao, le Maya.
A 5 heures 52, le Myoko et l' Haguro défilent à 1 600 mètres de l'étrave du Dace.

Paré à lancer en gerbe par les tubes avant.
Tubes parés.
Tubes 1 à 6, feu !

05 heures 56 : Cinq explosions énormes secouent dans l'océan. Le Maya coule en quatre minutes. Quatre destroyers sillonnent la surface à la recherche du coupable, distribuant des chapelets de grenades au hasard mais le Dace leur échappe. Deux heures plus tard, il fait surface.

Cap au sud-ouest. Doublez les veilleurs.

A 14 heures 30, les veilleurs aperçoivent une fumée à l'horizon. Une heure plus tard, alors qu'il se prépare à attaquer, les avions japonais le forcent à plonger et attendre la nuit. Un message du Darter lui demande de s'éloigner pour lui permettre de lancer sur le Takao qui s'échappe à petite vitesse, pris en remorque par les destroyers Asashimo et Naganami.

Nous restons dans les environs au cas où McClintock échoue, décide Claggett.

Peu après minuit, l'opérateur radio se présente au central :

S.O.S. du Darter, Commandant. Il s'est empalé sur les récifs.

Immédiatement, Claggett se rend sur les lieux pour recueillir l'équipage. A l'aube, les japonais ne trouveront qu'une épave sabordée.

Quels sont les ordres, Amiral ?

A 2 heures 50, on apporte à Kurita le message codé du Darter.

C'est un signal de repérage lancé par un méprisable sous-marin américain, Amiral. Très près.

Kurita est indécis. Rien ne milite en faveur d'un changement. Augmenter la vitesse et zigzaguer serait exploser un ou plusieurs de ses bâtiments à s'échouer sur ces récifs non balisés. Déployer ses destroyers sur l'avant dégarnirait ses flancs et le contraindrait à resserrer la formation, option dangereuse par cette nuit d'encre et à cette vitesse. Non, après réflexion, il maintient ses ordres.
5 heures 30 : l'aube se lève enfin. Le cri d'un veilleur donne l'alarme :

Sillages à bâbord avant !
La barre à droite, toute !

Mais il est bien trop tard. La torpille frappe la proue au niveau du magasin à vivres. Des tonnes d'eau s'engouffrent dans la brèche faisant gîter le bâtiment de huit degrés sur bâbord. Une seconde torpille explose dans la chaudière n°1, puis une troisième dans le compartiment n°6 provoquant l'explosion des chaudières. Tandis que les quatrième et cinquième torpilles manquent le croiseur, la sixième impacte dans le compartiment des turbines pulvérisant les cloisons étanches. L' Atago gîte maintenant de trente degrés.
De la passerelle du Yamato, l'amiral Ugaki aperçoit avec stupeur une énorme lueur montant vers le ciel.
Le croiseur est incontrôlable. Réalisant le désastre, le commandant Araki ordonne l'évacuation.

Signalez au Kishinami de nous porter assistance. Abandonnez le navire.

Les marins se jettent à la mer. Protégé par les destroyers Asashimo et Naganami, Kishinami recueille 711 survivants, tandis que Shimakaze est détaché pour secourir les rescapés du Maya. Sur le pont du Kishinami, le commandant Fukuoka s'inquiète du sort de l'amiral. Trempé, hagard et grelottant Kurita s'avance vers lui. Rien dans son attitude ne fait penser au chef de la plus grande flotte cuirassée du monde. On vient de le hisser quasi inconscient sur le pont. Fukuoka s'immobilise au garde-à-vous et le salue.

Quels sont les ordres, Amiral ?
Je porte ma marque sur le Yamato
Cela va prendre du temps, Amiral. La flotte s'est dispersée au nord.
Pardon ?
La 4ème division de croiseurs lourds est quasiment anéantie. Le Takao, gravement avarié est hors de combat et le Maya a été coulé.
Je confie à l'amiral Ugaki le commandement provisoire.

On emmène Kurita, défaillant, dans la chambre de Fukuoka.

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Source

  • Les grandes batailles navales de la Seconde Guerre mondiale par J.J. ANTIER
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