La défense du détroit de Surigao

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(Différences entre les versions)
(Golfe de Leyte, 24 octobre 1944)
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Kinkaid enchaîne ensuite sur les grandes lignes du plan de défense :<br />
Kinkaid enchaîne ensuite sur les grandes lignes du plan de défense :<br />
:''Nous disposons de quatre hydravions [http://pwencycl.kgbudge.com/P/b/PBY_Catalina.htm Catalina] équipés de radar, les Black Cats. Dès ce soir, deux d'entre eux exploreront la mer de Mindanao. L'amiral Oldendorf barrera le détroit à l'ennemi sur trois lignes successives. Premièrement, dans le golfe, la ligne de bataille avec six cuirassés, couverts sur les flancs par les croiseurs. Deuxième ligne, plus avancée, les 28 destroyers patrouilleront en plein détroit. Enfin, en avant-garde les 39 vedettes lance-torpilles dont le rôle principal est de détecter l'ennemi et de rendre compte. Un point de détail à ne pas négliger : retirez tous vos hydravions à bord des cuirassés et croiseurs. Souvenez-vous de la bataille de Savo, en 1942, où l'incendie d'un réservoir a désigné notre flotte aux pointeurs japonais. Amiral Sprague, que vos porte-avions soient prêt à lancer à l'aube pour achever l'ennemi''.<br />
:''Nous disposons de quatre hydravions [http://pwencycl.kgbudge.com/P/b/PBY_Catalina.htm Catalina] équipés de radar, les Black Cats. Dès ce soir, deux d'entre eux exploreront la mer de Mindanao. L'amiral Oldendorf barrera le détroit à l'ennemi sur trois lignes successives. Premièrement, dans le golfe, la ligne de bataille avec six cuirassés, couverts sur les flancs par les croiseurs. Deuxième ligne, plus avancée, les 28 destroyers patrouilleront en plein détroit. Enfin, en avant-garde les 39 vedettes lance-torpilles dont le rôle principal est de détecter l'ennemi et de rendre compte. Un point de détail à ne pas négliger : retirez tous vos hydravions à bord des cuirassés et croiseurs. Souvenez-vous de la bataille de Savo, en 1942, où l'incendie d'un réservoir a désigné notre flotte aux pointeurs japonais. Amiral Sprague, que vos porte-avions soient prêt à lancer à l'aube pour achever l'ennemi''.<br />
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Après s'être souhaité bonne chance, chacun regagne son bord pour peaufiner les détails de l'opération.
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Après s'être souhaité bonne chance, chacun regagne son bord pour peaufiner les détails de l'opération.<br />
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=== Veillée d'armes face au détroit de Surigao ===
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L'amiral Oldendorf a rejoint son navire de commandement le croiseur lourd [https://fr.wikipedia.org/wiki/USS_Louisville_%28CA-28%29 Louisville] et deux heures plus tard réuni ses subordonnés, les amiraux des cuirassés [http://valor.militarytimes.com/recipient.php?recipientid=27159 Weyler] et [https://en.wikipedia.org/wiki/Theodore_E._Chandler Chandler]; l'amiral [https://en.wikipedia.org/wiki/Russell_S._Berkey Berkey], commandant les croiseurs lourds; les commodores des escadrons de destroyers Coward, McManes et Smoot; enfin Bowling, commandant des vedettes rapides.<br />
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:''Messieurs, nous sommes réunis pour préparer la bataille décisive.''<br />
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:''La flotte devra livrer un combat rapide. Nous n'avons pas les moyens de soutenir une action prolongée, ni en munitions, ni en combustible. En outre, il faudra parer à une éventuelle apparition sur nos arrières de tel ou tel bâtiment de Kurita débouchant dans le golfe par le nord, après avoir trompé la surveillance de [https://fr.wikipedia.org/wiki/Willis_Augustus_Lee Lee] devant San Bernardino. En conséquence, j'ordonne le déclenchement du tir entre {{formatnum:15000}} et {{formatnum:18000}} mètres, pas avant, pour obtenir le meilleur rendement, même au risque de voir l'ennemi tirer le premier, éventualité d'ailleurs improbable la nuit, puisque nous disposons de meilleurs radars et que nous créerons la surprise. Compte-tenu qu'il ne nous reste que 12% de stock de munitions de gros calibres, nous utiliserons des obus de rupture pour les cinq premières salves, en espérant qu'elles soient décisives.''<br />
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:''C'est donc pourquoi nous allons utiliser massivement la torpille d'autant que la configuration des lieux s'y prête.''
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Puis s'adressant aux commandants des escadrons de destroyers :
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:''Que toute occasion permettant une attaque de ce genre soit immédiatement saisie et exploitée. Les vedettes placées à l'entrée du détroit donneront l'alerte, en priorité. Aussitôt après, l'ennemi se heurtera en plein détroit à vos flottilles de destroyers qui attaqueront sur les flancs, à la fois pour dégager le champ de tir central de nos cuirassés que pour garder en écran, derrière eux, les escarpements du détroit en vue de rendre inefficaces les radars japonais. Après cela, nos cuirassés pourront entrer en action. Messieurs, des questions ?''<br />
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Après les réponses aux habituelles questions logistiques, Oldendorf conclut :
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:''Je résume : en avant-garde, à 70 milles du corps de bataille, les vedettes, dissimulées entre le goulet sud et les îles, donneront l'alerte, puis porteront les premiers coups. Dans le golfe , barrant le goulet nord du détroit, la ligne de bataille cuirassée, toutes pièces battantes, pour [https://fr.wikipedia.org/wiki/Barrer_le_T barrer le T] à l'ennemi. Vitesse 5 noeuds avant le combat, dix, puis quinze nœuds pendant l'action. Sur ses flancs, les croiseurs et le gros de destroyers. Au milieu, en plein détroit, en tête le 54° escadron de Coward; en deuxième échelon, à {{formatnum:4000}} mètres de nos cuirassés, les 24° et 56° escadrons. Messieurs, je vous remercie et que Dieu nous garde.''
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La journée s'achève dans une ambiance électrique. 82 bâtiments de guerre (6 cuirassés, 9 croiseurs, 28 destroyers et 39 vedettes lance-torpilles) se mettent en position pour le combat naval au canon du siècle. Pendant ce temps, dans le golfe, l'aviation japonaise multiple ses raids de harcèlement contre les troupes, les plages et les mouillages. Plus les chasseurs des ''Taffy'' en abattent, plus il en tombe des nuages ! Au nord, on est toujours sans nouvelles de l'amiral Lee, que l'on croit posté à l'affût de Kurita devant le détroit de San Bernardino.<br />
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A 20:35, Kinkaid reçoit ce message de Halsey :
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:''Je fais route au nord avec mes trois task groups de porte-avions pour attaquer les porte-avions ennemis''.<br />
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Ce message rassure Kinkaid et Oldendorf. Or, les cuirassés de Lee avaient été retirés de la garde de San Bernardino et s'éloignaient à 25 nœuds dans le Pacifique avec les grands porte-avions de Mitscher, laissant le champ libre à Kurita.
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Version du 2 décembre 2015 à 15:52

Sommaire

La pince sud de la tenaille

Plus heureux que Kurita, Nishimura, grâce à des itinéraires détournés, avait réussi à déjouer les sous-marins américains placés sur sa route dans le détroit de Balabac. Le 23 octobre vers 3 heures du matin, parvenu en mer de Sulu, au lieu de mettre le cap droit sur Leyte, il avait longé la côte ouest de Palawan, évitant les patrouilles aériennes opérant depuis Morotai, conquise dès le début de ce mois d'octobre 1944.
A l'aube du 24, il avait infléchi sa route au sud-est, cap sur le détroit qui donne accès à la mer de Bohol, puis Mogami avait catapulté son hydravion de reconnaissance, qui survolant le golfe de Leyte à 06:50 diffusait cette information capitale :
- Dans le sud du golfe, 4 cuirassés, 2 croiseurs et 2 destroyers.
Il vient de découvrir une partie de la flotte de soutien d'Oldendorf, qui compte en réalité 6 cuirassés et 9 croiseurs, certains étant masqués par les replis de la côte. Poursuivant son vol, le pilote a la vision fantastique du débarquement :
- Devant les plages de Leyte, entre Dulag et Tacloban, 100 navires de transport, des centaines d'engins de débarquement ! Les plages sont couvertes d'hommes et de matériel !
Puis l'hydravion survole l'île de Dinagat et s'engage au-dessus du Pacifique. Une nouvelle surprise l'attend.
- A 40 milles dans le sud-est de Leyte, une escadre de 12 porte-avions et autant de destroyers !
C'est son dernier message. Un éclair argenté tombant du ciel, une rafale d'obus hachant la carlingue. Un chasseur Hellcat l'abat en flammes. Mais l'information sensationnelle est passée.
Il s'agit des escadres de soutien Taffy 1 et Taffy 2, les petits porte-avions d'escorte de l'amiral Sprague. Seule Taffy 3, qui navigue au nord de Leyte, n'a pas été repérée, et pas davantage la III° flotte de Halsey, encore plus au nord.
Des porte-avions ! Cette nouvelle décisive est communiquée à Kurita. Mais, les japonais n'ayant pas repéré la flotte de Halsey, il se produit dans leur esprit une confusion dramatique qui va durer pendant toute la bataille. Les porte-avions de Sprague et les vieux cuirassés d'Oldendorf, dont le rôle exclusif est de défendre les plages, ont été pris pour la puissante flotte stratégique de Halsey. Celui-ci devant être engagé contre Kurita et Ozawa, Nishimura espérait trouver à son arrivée le golfe vide du gros des forces navales.
A 08:00, Nishimura entre dans le détroit de Mindanao. Vers 9 heures, il est attaqué par les avions de USS Franklin et Enterprise, lancés par la TF.38 en vue de couvrir le secteur sud. Fuso encaisse une bombe, sans altérer sa valeur combative. Nishimura prie pour qu'Ozawa, entre temps, attire les porte-avions d'Halsey. Effectivement, il n'y a pas d'autre attaque, non par la grâce d'Ozawa, mais parce que le TG.4 a été dépêché vers le nord pour attaquer Kurita.

Pendant ce temps, Shima...

Le 23 octobre, Shima avait atteint Coron Bay où il devait ravitailler mais il dû attendre l'arrivée du pétrolier Nichiei Maru, en retard.
Il repart de Coron Bay le 24 octobre à l'aube. A 09:15, il est attaqué près de l'île Panay par les avions de l'USS Franklin. Le destroyer Wakaba est touché à mort et coule en 45 minutes par 121°36'E - 11°36'N.
Sans le savoir, la V° flotte de Shima navigue 40 milles en arrière de celle de Nishimura. A cela une "bonne" raison. Shima ne dépend pas de Kurita mais de Tokyo, qui l'avait primitivement chargé d'achever la flotte américaine au cas où le débarquement eût lieu à Formose, avant de recevoir l'ordre de rallier Nishimura au sud. Un problème d'hommes complique encore la situation. Shima étant de même grade mais plus ancien que Nishimura aura dû commander la pince sud de la tenaille. Mais les deux amiraux se détestent et affectent de s'ignorer, chacun se ruant à sa bataille sans se préoccuper de ce que fait l'autre. Shima n'ayant aucune nouvelle de Kurita ni de Nishimura continue sa marche sur Leyte en gardant le silence radio, sans trop se presser à 15 nœuds, décidé à faire bande à part et tirer profit des circonstances.
Dans l'après-midi, lorsque Nishimura apprend que Kurita a repris sa marche sur Leyte avec 6 heures de retard, il confère avec son état-major :
- Il faut ralentir pour déboucher ensemble dans le golfe, amiral, sinon les américains nous détruiront à tour de rôle.
Nishimura n'est pas de cet avis et compte attaquer la défense américaine de nuit alors que son aviation sera clouée aux porte-avions.
- Prévenez l'honorable Kurita que je m'en tiens au plan.
Pour Shima, rien... Les deux escadres du sud continuent donc leur marche séparée traversant la mer de Mindanao, en s'ignorant. La nuit tombe et le détroit de Surigao approche.

Golfe de Leyte, 24 octobre 1944

Sur ordre de l'amiral Kinkaid, son chef d'état-major le capitaine de vaisseau Shaeffer a convoqué à 14:00, à bord du navire de commandement Wasatch, mouillé au large de la plage de Tacloban, les chefs d'escadre. Préalablement à 12:15, Kinkaid avait mis toute la flotte en alerte par ce message :

Préparez-vous à un engagement naval nocturne. Des forces ennemies estimées à deux cuirassés, quatre croiseurs lourds et dix contre-torpilleurs peuvent déboucher cette nuit par le sud, dans le golfe de Leyte.

La réunion commence.

Messieurs, je vous ai réunis pour faire le point de la situation à la veille d'une probable bataille décisive. Je vous confirme mes divers messages. Une escadre de cuirassés et une autre de croiseurs lourds font route au sud vers Leyte à travers la mer de Jolo. Elles atteindront cette nuit le détroit de Surigao. La première a été attaquée par deux escadrilles de USS Enterprise et Franklin, mais n'a pas été stoppée, l'amiral Halsey ayant dû rappeler ses porte-avions pour contrer l'avance du corps de bataille japonais et veiller à la menace des porte-avions qu'on n'a pu encore localiser. Les avions de Mitscher les recherchent, l'amiral Halsey garde le détroit de San-Bernardino. Nous sommes donc couverts au nord. Heureusement, le débarquement des troupes s'achève aujourd'hui et à son terme le général Krueger, commandant la VI° armée, doit me relever de cette responsabilité.

Kinkaid enchaîne ensuite sur les grandes lignes du plan de défense :

Nous disposons de quatre hydravions Catalina équipés de radar, les Black Cats. Dès ce soir, deux d'entre eux exploreront la mer de Mindanao. L'amiral Oldendorf barrera le détroit à l'ennemi sur trois lignes successives. Premièrement, dans le golfe, la ligne de bataille avec six cuirassés, couverts sur les flancs par les croiseurs. Deuxième ligne, plus avancée, les 28 destroyers patrouilleront en plein détroit. Enfin, en avant-garde les 39 vedettes lance-torpilles dont le rôle principal est de détecter l'ennemi et de rendre compte. Un point de détail à ne pas négliger : retirez tous vos hydravions à bord des cuirassés et croiseurs. Souvenez-vous de la bataille de Savo, en 1942, où l'incendie d'un réservoir a désigné notre flotte aux pointeurs japonais. Amiral Sprague, que vos porte-avions soient prêt à lancer à l'aube pour achever l'ennemi.

Après s'être souhaité bonne chance, chacun regagne son bord pour peaufiner les détails de l'opération.

Veillée d'armes face au détroit de Surigao

L'amiral Oldendorf a rejoint son navire de commandement le croiseur lourd Louisville et deux heures plus tard réuni ses subordonnés, les amiraux des cuirassés Weyler et Chandler; l'amiral Berkey, commandant les croiseurs lourds; les commodores des escadrons de destroyers Coward, McManes et Smoot; enfin Bowling, commandant des vedettes rapides.

Messieurs, nous sommes réunis pour préparer la bataille décisive.
La flotte devra livrer un combat rapide. Nous n'avons pas les moyens de soutenir une action prolongée, ni en munitions, ni en combustible. En outre, il faudra parer à une éventuelle apparition sur nos arrières de tel ou tel bâtiment de Kurita débouchant dans le golfe par le nord, après avoir trompé la surveillance de Lee devant San Bernardino. En conséquence, j'ordonne le déclenchement du tir entre 15 000 et 18 000 mètres, pas avant, pour obtenir le meilleur rendement, même au risque de voir l'ennemi tirer le premier, éventualité d'ailleurs improbable la nuit, puisque nous disposons de meilleurs radars et que nous créerons la surprise. Compte-tenu qu'il ne nous reste que 12% de stock de munitions de gros calibres, nous utiliserons des obus de rupture pour les cinq premières salves, en espérant qu'elles soient décisives.
C'est donc pourquoi nous allons utiliser massivement la torpille d'autant que la configuration des lieux s'y prête.

Puis s'adressant aux commandants des escadrons de destroyers :

Que toute occasion permettant une attaque de ce genre soit immédiatement saisie et exploitée. Les vedettes placées à l'entrée du détroit donneront l'alerte, en priorité. Aussitôt après, l'ennemi se heurtera en plein détroit à vos flottilles de destroyers qui attaqueront sur les flancs, à la fois pour dégager le champ de tir central de nos cuirassés que pour garder en écran, derrière eux, les escarpements du détroit en vue de rendre inefficaces les radars japonais. Après cela, nos cuirassés pourront entrer en action. Messieurs, des questions ?

Après les réponses aux habituelles questions logistiques, Oldendorf conclut :

Je résume : en avant-garde, à 70 milles du corps de bataille, les vedettes, dissimulées entre le goulet sud et les îles, donneront l'alerte, puis porteront les premiers coups. Dans le golfe , barrant le goulet nord du détroit, la ligne de bataille cuirassée, toutes pièces battantes, pour barrer le T à l'ennemi. Vitesse 5 noeuds avant le combat, dix, puis quinze nœuds pendant l'action. Sur ses flancs, les croiseurs et le gros de destroyers. Au milieu, en plein détroit, en tête le 54° escadron de Coward; en deuxième échelon, à 4 000 mètres de nos cuirassés, les 24° et 56° escadrons. Messieurs, je vous remercie et que Dieu nous garde.

La journée s'achève dans une ambiance électrique. 82 bâtiments de guerre (6 cuirassés, 9 croiseurs, 28 destroyers et 39 vedettes lance-torpilles) se mettent en position pour le combat naval au canon du siècle. Pendant ce temps, dans le golfe, l'aviation japonaise multiple ses raids de harcèlement contre les troupes, les plages et les mouillages. Plus les chasseurs des Taffy en abattent, plus il en tombe des nuages ! Au nord, on est toujours sans nouvelles de l'amiral Lee, que l'on croit posté à l'affût de Kurita devant le détroit de San Bernardino.
A 20:35, Kinkaid reçoit ce message de Halsey :

Je fais route au nord avec mes trois task groups de porte-avions pour attaquer les porte-avions ennemis.

Ce message rassure Kinkaid et Oldendorf. Or, les cuirassés de Lee avaient été retirés de la garde de San Bernardino et s'éloignaient à 25 nœuds dans le Pacifique avec les grands porte-avions de Mitscher, laissant le champ libre à Kurita.




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Sources

  • Les grandes batailles navales de la Seconde Guerre mondiale, par J-Jacques ANTIER.
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